SPIRITUALITE

Dieu

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Oui, mon âme se plaît à secouer ses chaînes :
Déposant le fardeau des misères humaines,
Laissant errer mes sens dans ce monde des corps,
Au monde des esprits je monte sans efforts.

Là, foulant à mes pieds cet univers visible,
Je plane en liberté dans les champs du possible,
Mon âme est à létroit dans sa vaste prison :
 Il me faut un séjour qui nait pas dhorizon.

Comme une goutte d’eau dans l’Océan versée,
L’infini dans son sein absorbe ma pensée ;
Là, reine de l’espace et de l’éternité,
Elle ose mesurer le temps, l’immensité,

Aborder le néant, parcourir l’existence,
Et concevoir de Dieu l’inconcevable essence.
Mais sitôt que je veux peindre ce que je sens,
Toute parole expire en efforts impuissants.

Mon âme croit parler, ma langue embarrassée
Frappe lair de vingt sons, ombre de ma pensée.
Dieu fit pour les esprits deux langages divers :
En sons articulés lun vole dans les airs ;

Ce langage borné s’apprend parmi les hommes,
Il suffit aux besoins de l’exil où nous sommes,
Et, suivant des mortels les destins inconstants
Change avec les climats ou passe avec les temps.

L’autre, éternel, sublime, universel, immense,
Est le langage inné de toute intelligence :
Ce n’est point un son mort dans les airs répandu,
C’est un verbe vivant dans le coeur entendu ;

On l’entend, on l’explique, on le parle avec l’âme ;
Ce langage senti touche, illumine, enflamme;
De ce que l’âme éprouve interprètes brûlants,
Il n’a que des soupirs, des ardeurs, des élans ;

C’est la langue du ciel que parle la prière,
Et que le tendre amour comprend seul sur la terre.
Aux pures régions où j’aime à m’envoler,
L’enthousiasme aussi vient me la révéler.

Lui seul est mon flambeau dans cette nuit profonde,
Et mieux que la raison il m’explique le monde.
Viens donc ! Il est mon guide, et je veux t’en servir.
A ses ailes de feu, viens, laisse-toi ravir !

Déjà l’ombre du monde à nos regards s’efface,
Nous échappons au temps, nous franchissons l’espace.
Et dans l’ordre éternel de la réalité,
Nous voilà face à face avec la vérité !

Cet astre universel, sans déclin, sans aurore,
C’est Dieu, c’est ce grand tout, qui soi-même s’adore !
Il est ; tout est en lui : l’immensité, les temps,
De son être infini sont les purs éléments ;

L’espace est son séjour, l’éternité son âge ;
Le jour est son regard, le monde est son image ;
Tout l’univers subsiste à l’ombre de sa main ;
L’être à flots éternels découlant de son sein,

Comme un fleuve nourri par cette source immense,
S’en échappe, et revient finir où tout commence.
Sans bornes comme lui ses ouvrages parfaits
Bénissent en naissant la main qui les a faits !

Il peuple linfini chaque fois quil respire ;
Pour lui, vouloir cest faire, exister cest produire !
Tirant tout de soi seul, rapportant tout à soi,
Sa volonté suprême est sa suprême loi !

Mais cette volonté, sans ombre et sans faiblesse,
Est à la fois puissance, ordre, équité, sagesse.
Sur tout ce qui peut être il lexerce à son gré ;
Le néant jusquà lui sélève par degré :

Intelligence, amour, force, beauté, jeunesse,
Sans sépuiser jamais, il peut donner sans cesse,
Et comblant le néant de ses dons précieux,
Des derniers rangs de lêtre il peut tirer des dieux !

Mais ces dieux de sa main, ces fils de sa puissance,
Mesurent deux à lui léternelle distance,
Tendant par leur nature à lêtre qui les fit;
Il est leur fin à tous, et lui seul se suffit !

Voilà, voilà le Dieu que tout esprit adore,
QuAbraham a servi, que rêvait Pythagore,
Que Socrate annonçait, quentrevoyait Platon ;
Ce Dieu que lunivers révèle à la raison,

Que la justice attend, que linfortune espère,
Et que le Christ enfin vint montrer à la terre !
Ce nest plus là ce Dieu par lhomme fabriqué,
Ce Dieu par limposture à lerreur expliqué,

Ce Dieu défiguré par la main des faux prêtres,
Quadoraient en tremblant nos crédules ancêtres.
Il est seul, il est un, il est juste, il est bon ;
La terre voit son oeuvre, et le ciel sait son nom !

Heureux qui le connaît ! plus heureux qui ladore !
Qui, tandis que le monde ou loutrage ou lignore,
Seul, aux rayons pieux des lampes de la nuit,
Sélève au sanctuaire où la foi lintroduit

Et, consumé damour et de reconnaissance,
Brûle comme lencens son âme en sa présence !
Mais pour monter à lui notre esprit abattu
Doit emprunter den haut sa force et sa vertu.

Il faut voler au ciel sur des ailes de flamme :
Le désir et lamour sont les ailes de lâme.
Ah ! que ne suisje né dans lâge où les humains,
Jeunes, à peine encore échappés de ses mains,

Près de Dieu par le temps, plus près par linnocence,
Conversaient avec lui, marchaient en sa présence ?
Que naije vu le monde à son premier soleil ?
Que naije entendu lhomme à son premier réveil ?

Tout lui parlait de toi, tu lui parlais toimême ;
Lunivers respirait ta majesté suprême ;
La nature, sortant des mains du Créateur,
Etalait en tous sens le nom de son auteur;

Ce nom, caché depuis sous la rouille des âges,
En traits plus éclatants brillait sur tes Ouvrages ;
Lhomme dans le passé ne remontait quà toi ;
Il invoquait son père, et tu disais : Cest moi.

Longtemps comme un enfant ta voix daigna linstruire,
Et par la main longtemps tu voulus le conduire.
Que de fois dans ta gloire à lui tu tes montré,
Aux vallons de Sennar, aux chênes de Membré,

Dans le buisson dHoreb, ou sur lauguste cime
Où Moïse aux Hébreux dictait sa loi sublime !
Ces enfants de Jacob, premiersnés des humains,
Reçurent quarante ans la manne de tes mains

Tu frappais leur esprit par tes vivants oracles !
Tu parlais à leurs yeux par la voix des miracles !
Et lorsquils toubliaient, tes anges descendus
Rappelaient ta mémoire à leurs coeurs éperdus !

Mais enfin, comme un fleuve éloigné de sa source,
Ce souvenir si pur saltéra dans sa course !
De cet astre vieilli la sombre nuit des temps
Eclipsa par degrés les rayons éclatants ;

Tu cessas de parler; loubli, la main des âges,
Usèrent ce grand nom empreint dans tes ouvrages ;
Les siècles en passant firent pâlir la foi ;
Lhomme plaça le doute entre le monde et toi.

Oui, ce monde, Seigneur, est vieilli pour ta gloire ;
Il a perdu ton nom, ta trace et ta mémoire
Et pour les retrouver il nous faut, dans son cours,
Remonter flots à flots le long fleuve des jours !

Nature ! firmament ! loeil en vain vous contemple ;
Hélas ! sans voir le Dieu, lhomme admire le temple,
Il voit, il suit en vain, dans les déserts des cieux,
De leurs mille soleils le cours mystérieux !

Il ne reconnaît plus la main qui les dirige !
Un prodige éternel cesse dêtre un prodige !
Comme ils brillaient hier, ils brilleront demain !
Qui sait où commença leur glorieux chemin ?

Qui sait si ce flambeau, qui luit et qui féconde,
Une première fois sest levé sur le monde ?
Nos pères nont point vu briller son premier tour
Et les jours éternels nont point de premier jour.

Sur le monde moral, en vain ta providence,
Dans ces grands changements révèle ta présence !
Cest en vain quen tes jeux lempire des humains
Passe dun sceptre à lautre, errant de mains en mains ;

Nos yeux accoutumés à sa vicissitude
Se sont fait de ta gloire une froide habitude ;
Les siècles ont tant vu de ces grands coups du sort :
Le spectacle est usé, lhomme engourdi sendort.

Réveillenous, grand Dieu ! parle et change le monde ;
Fais entendre au néant ta parole féconde.
Il est temps ! lèvetoi ! sors de ce long repos ;
Tire un autre univers de cet autre chaos.

A nos yeux assoupis il faut dautres spectacles !
A nos esprits flottants il faut dautres miracles !
Change lordre des cieux qui ne nous parle plus !
Lance un nouveau soleil à nos yeux éperdus !

Détruis ce vieux palais, indigne de ta gloire ;
Viens ! montretoi toimême et forcenous de croire !
Mais peutêtre, avant lheure où dans les cieux déserts
Le soleil cessera déclairer lunivers,

De ce soleil moral la lumière éclipsée
Cessera par degrés déclairer la pensée ;
Et le jour qui verra ce grand flambeau détruit
Plongera lunivers dans léternelle nuit.

Alors tu briseras ton inutile ouvrage :
Ses débris foudroyés rediront dâge en âge :
Seul je suis ! hors de moi rien ne peut subsister !
Lhomme cessa de croire, il cessa dexister !
Adolphe De LAMARTINE

 

SPIRITUALITE

La Foi

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O néant ! ô seul Dieu que je puisse comprendre !
Silencieux abîme où je vais redescendre,
Pourquoi laissastu lhomme échapper de ta main ?

De quel sommeil profond je dormais dans ton sein !

Dans léternel oubli jy dormirais encore ;
Mes yeux nauraient pas vu ce faux jour que jabhorre,
Et dans ta longue nuit, mon paisible sommeil

Naurait jamais connu ni songes, ni réveil.

Mais puisque je naquis, sans doute il fallait naître.
Si l’on m’eût consulté, j’aurais refusé l’être.
Vains regrets ! le destin me condamnait au jour,

Et je vins, ô soleil, te maudire à mon tour.

Cependant, il est vrai, cette première aurore,
Ce réveil incertain dun être qui signore,
Cet espace infini s’ouvrant devant ses yeux,

Ce long regard de l’homme interrogeant les cieux,

Ce vague enchantement, ces torrents despérance,
Eblouissent les yeux au seuil de lexistence.
Salut, nouveau séjour où le temps ma jeté,

Globe, témoin futur de ma félicité !

Salut, sacré flambeau qui nourris la nature !

Soleil, premier amour de toute créature !
Vastes cieux, qui cachez le Dieu qui vous a faits !

Terre, berceau de lhomme, admirable palais !

Homme, semblable à moi, mon compagnon, mon frère !

Toi plus belle à mes yeux, à mon âme plus chère !
Salut, objets, témoins, instruments du bonheur !

Remplissez vos destins, je vous apporte un coeur …

Que ce rêve est brillant ! mais, hélas ! cest un rêve.

Il commençait alors ; maintenant il sachève.
La douleur lentement mentrouvre le tombeau ;

Salut, mon dernier jour! sois mon jour le plus beau !

J’ai vécu; j’ai passé ce désert de la vie,
Où toujours sous mes pas chaque fleur s’est flétrie ;
Où toujours l’espérance, abusant ma raison,

Me montrait le bonheur dans un vague horizon.

Où du vent de la mort les brûlantes haleines
Sous mes lèvres toujours tarissaient les fontaines.
Quun autre, sexhalant en regrets superflus,

Redemande au passé ses jours qui ne sont plus,

Pleure de son printemps l’aurore évanouie,
Et consente à revivre une seconde vie:
Pour moi, quand le destin m’offrirait à mon choix

Le sceptre du génie, ou le trône des rois,

La gloire, la beauté, les trésors, la sagesse,
Et joindrait à ses dons léternelle jeunesse,
Jen jure par la mort ; dans un monde pareil,

Non, je ne voudrais pas rajeunir dun soleil.

 Je ne veux pas dun monde où tout change, où tout passe :

Où, jusqu’au souvenir, tout s’use et tout s’efface ;
Où tout est fugitif, périssable, incertain ;

Où le jour du bonheur n’a pas de lendemain !

Combien de fois ainsi, trompé par lexistence,
De mon sein pour jamais jai banni lespérance !
Combien de fois ainsi mon esprit abattu

A cru senvelopper dune froide vertu,

Et, rêvant de Zénon la trompeuse sagesse,
Sous un manteau stoïque a caché sa faiblesse !
Dans son indifférence un jour enseveli,

Pour trouver le repos il invoquait loubli.

Vain repos! faux sommeil! Tel quau pied des collines,
Où Rome sort du sein de ses propres ruines,
Loeil voit dans ce chaos, confusément épars,

Dantiques monuments, de modernes remparts,

Des théâtres croulants, dont les frontons superbes
Dorment dans la poussière ou rampent sous les herbes,
Les palais des héros par les ronces couverts,

Des dieux couchés au seuil de leurs temples déserts,

Lobélisque éternel ombrageant la chaumière,
La colonne portant une image étrangère,
Lherbe dans le forum, les fleurs dans les tombeaux,

Et ces vieux panthéons peuplés de dieux nouveaux ;

Tandis que, sélevant de distance en distance,

Un faible bruit de vie interrompt ce silence :
Telle est notre âme, après ces longs ébranlements ;

Secouant la raison jusquen ses fondements,

Le malheur nen fait plus quune immense ruine,

Où comme un grand débris le désespoir domine !
De sentiments éteints silencieux chaos,

Eléments opposés, sans vie et sans repos,

Restes de passions par le temps effacées,

Combat désordonné de voeux et de pensées,
Souvenirs expirants, regrets, dégoûts, remords.

Si du moins ces débris nous attestaient sa mort !

Mais sous ce vaste deuil lâme encore est vivante ;

Ce feu sans aliment soimême salimente ;
Il renaît de sa cendre, et ce fatal flambeau

Craint de brûler encore audelà du tombeau.

Ame! qui donc estu ? flamme qui me dévore,

Doistu vivre après moi ? doistu souffrir encore ?
Hôte mystérieux, que vastu devenir ?

Au grand flambeau du jour vastu te réunir ?

Peutêtre de ce feu tu nes quune étincelle,

Quun rayon égaré, que cet astre rappelle.
Peutêtre que, mourant lorsque lhomme est détruit,

Tu nes quun suc plus pur que la terre a produit,

Une fange animée, une argile pensante...

Mais que voisje ? à ce mot, tu frémis dépouvante.
Redoutant le néant, et lasse de souffrir,

Hélas ! tu crains de vivre et trembles de mourir.

Qui te révélera, redoutable mystère ?

Jécoute en vain la voix des sages de la terre :
Le doute égare aussi ces sublimes esprits,

Et de la même argile ils ont été pétris.

Rassemblant les rayons de lantique sagesse,

Socrate te cherchait aux beaux jours de la Grèce ;
Platon à Sunium te cherchait après lui ;

Deux mille ans sont passés, je te cherche aujourdhui ;

Deux mille ans passeront, et les enfants des hommes

Sagiteront encor dans la nuit où nous sommes.
La vérité rebelle échappe à nos regards,

Et Dieu seul réunit tous ses rayons épars.

Ainsi, prêt à fermer mes yeux à la lumière,

Nul espoir ne viendra consoler ma paupière:
Mon âme aura passé, sans guide et sans flambeau

De la nuit dicibas dans la nuit du tombeau,

Et jemporte au hasard, au monde où je mélance,

Ma vertu sans espoir, mes maux sans récompense.
Répondsmoi, Dieu cruel ! Sil est vrai que tu sois,

Jai donc le droit fatal de maudire tes lois !

Après le poids du jour, du moins le mercenaire

Le soir s’assied à l’ombre, et reçoit son salaire :
Et moi, quand je fléchis sous le fardeau du sort,
Quand mon jour est fini, mon salaire est la mort.
Mais, tandis qu’exhalant le doute et le blasphème,
Les yeux sur mon tombeau, je pleure sur moi-même,
La foi, se réveillant, comme un doux souvenir,

Jette un rayon d’espoir sur mon pâle avenir,

Sous l’ombre de la mort me ranime et m’enflamme,

Et rend à mes vieux jours la jeunesse de l’âme.
Je remonte aux lueurs de ce flambeau divin,

Du couchant de ma vie à son riant matin ;

J’embrasse d’un regard la destinée humaine ;

A mes yeux satisfaits tout s’ordonne et s’enchaîne;
Je lis dans l’avenir la raison du présent ;

L’espoir ferme après moi les portes du néant,

Et rouvrant l’horizon à mon âme ravie,

M’explique par la mort l’énigme de la vie.
Cette foi qui m’attend au bord de mon tombeau,

Hélas ! il m’en souvient, plana sur mon berceau.

De la terre promise immortel héritage,

Les pères à leurs fils l’ont transmis d’âge en âge.
Notre esprit la reçoit à son premier réveil,

Comme les dons d’en haut, la vie et le soleil ;

Comme le lait de l’âme, en ouvrant la paupière,

Elle a coulé pour nous des lèvres d’une mère ;
Elle a pénétré l’homme en sa tendre saison ;

Son flambeau dans les coeurs précéda la raison.

L’enfant, en essayant sa première parole,

Balbutie au berceau son sublime symbole,
Et, sous l’oeil maternel germant à son insu,

Il la sent dans son coeur croître avec la vertu.

Ah ! si la vérité fut faite pour la terre,

Sans doute elle a reçu ce simple caractère ;
Sans doute dès lenfance offerte à nos regards,

Dans lesprit par les sens entrant de toutes parts,

Comme les purs rayons de la céleste flamme

Elle a dû dès laurore environner notre âme,
De lesprit par lamour descendre dans les coeurs,

Sunir au souvenir, se fondre dans les moeurs;

Ainsi qu’un grain fécond que l’hiver couvre encore,

Dans notre sein longtemps germer avant d’éclore,
Et, quand l’homme a passé son orageux été,

Donner son fruit divin pour l’immortalité.

Soleil mystérieux ! flambeau dune autre sphère,

Prête à mes yeux mourants ta mystique lumière,
Pars du sein du TrèsHaut, rayon consolateur.

Astre vivifiant, lèvetoi dans mon coeur !

Hélas ! je nai que toi; dans mes heures funèbres,

Ma raison qui pâlit mabandonne aux ténèbres ;
Cette raison superbe, insuffisant flambeau,

Séteint comme la vie aux portes du tombeau ;

Viens donc la remplacer, ô céleste lumière !

Viens dun jour sans nuage inonder ma paupière ;
Tiensmoi lieu du soleil que je ne dois plus voir,

Et brille à lhorizon comme lastre du soir.

Alphonse De Lamartine
(1790-1869)

 

 

SPIRITUALITE, VICTOR HUGO

La source

659747-victor-hugoUn lion habitait près dune source ; un aigle

Y venait boire aussi.

Or, deux héros, un jour, deux rois souvent Dieu règle

La destinée ainsi

Vinrent à cette source où des palmiers attirent

Le passant hasardeux,

Et, sétant reconnus, ces hommes se battirent

Et tombèrent tous deux.

Laigle, comme ils mouraient, vint planer sur leurs têtes,

Et leur dit, rayonnant :

Vous trouviez lunivers trop petit, et vous nêtes

Quune ombre maintenant !

Ô princes ! et vos os, hier pleins de jeunesse,

Ne seront plus demain

Que des cailloux mêlés, sans quon les reconnaisse,

Aux pierres du chemin !

Insensés ! à quoi bon cette guerre âpre et rude,

Le duel, ce talion ?...

Je vis en paix, moi laigle, en cette solitude,

Avec lui, le lion.

Nous venons tous deux boire à la même fontaine,

Rois dans les mêmes lieux ;

Je lui laisse le bois, la montagne et la plaine,

Et je garde les cieux.

Victor Hugo

POESIE, POETE, SPIRITUALITE

Ce siècle est grand et fort. Un noble instinct le mène

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Ce siècle est grand et fort. Un noble instinct le mène.

Partout on voit marcher lIdée en mission ;

Et le bruit du travail, plein de parole humaine,

Se mêle au bruit divin de la création.

Partout, dans les cités et dans les solitudes,

Lhomme est fidèle au lait dont nous le nourrissions ;

Et dans linforme bloc des sombres multitudes

La pensée en rêvant sculpte des nations.

Léchafaud vieilli croule, et la Grève se lave.

Lémeute se rendort. De meilleurs jours sont prêts.

Le peuple a sa colère et le volcan sa lave

Qui dévaste dabord et qui féconde après.

Des poètes puissants, têtes par Dieu touchées,

Nous jettent les rayons de leurs fronts inspirés.

Lart a de frais vallons où les âmes penchées

Boivent la poésie à des ruisseaux sacrés.

Pierre à pierre, en songeant aux vieilles moeurs éteintes,

Sous la société qui chancelle à tous vents,

Le penseur reconstruit ces deux colonnes saintes,

Le respect des vieillards et lamour des enfants.

Le devoir, fils du droit, sous nos toits domestiques

Habite comme un hôte auguste et sérieux.

Les mendiants groupés dans lombre des portiques

Ont moins de haine au coeur et moins de flamme aux yeux.

Laustère vérité na plus de portes closes.

Tout verbe est déchiffré. Notre esprit éperdu,

Chaque jour, en lisant dans le livre des choses,

Découvre à lunivers un sens inattendu.

Ô poètes ! le fer et la vapeur ardente

Effacent de la terre, à lheure où vous rêvez,

Lantique pesanteur, à tout objet pendante,

Qui sous les lourds essieux broyait les durs pavés.

Lhomme se fait servir par laveugle matière.

Il pense, il cherche, il crée ! A son souffle vivant

Les germes dispersés dans la nature entière

Tremblent comme frissonne une forêt au vent !

Oui, tout va, tout saccroît. Les heures fugitives

Laissent toutes leur trace. Un grand siècle a surgi.

Et, contemplant de loin de lumineuses rives,

Lhomme voit son destin comme un fleuve élargi.

Mais parmi ces progrès dont notre âge se vante,

Dans tout ce grand éclat dun siècle éblouissant,

Une chose, ô Jésus, en secret mépouvante,

Cest lécho de ta voix qui va saffaiblissant.

Victor Hugo

AMOR, AMOUR, AURANE KREE - NEA, COMBAT, CONNAISSANCE, CONVICTION, COURAGE, DIEU, GOD, LAURA MARIE, LOVE, Non classé, POETES, SAVOIR, SPIRITUALITE

Poême Dédié aux IMPOSTEURS de la Spiritualité

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Un prochain Article sera fait en l’Honneur de ce Grand Monsieur.

En attendant, je partage en dédiant ce poème écrit par VICTOR HUGO, à tous ses IMPOSTEURS de la SPIRITUALITÉ…Puissiez-vous en prendre Lumière dans votre Conscience noircie d’abjections…

A ceux ( A celles) qui sont petit(e)s

Est-ce ma faute à moi si vous n’êtes pas grands ?
Vous aimez les hiboux, les fouines, les tyrans,
Le mistral, le simoun, l’écueil, la lune rousse ;
Vous êtes Myrmidon que son néant courrouce ;
Hélas ! l’envie en vous creuse son puits sans fond,
Et je vous plains. Le plomb de votre style fond
Et coule sur les noms que dore un peu de gloire,
Et, tout en répandant sa triste lave noire,
Tâche d’être cuisant et ne peut qu’être lourd.
Tortueux, vous rampez après tout ce qui court ;
Votre œil furieux suit les grands aigles véloces.
Vous reprochez leur taille et leur ombre aux colosses ;
On dit de vous : – Pygmée essaya, mais ne put.-
Qui haïra Chéops si ce n’est Lilliput ?
Le Parthénon vous blesse avec ses fiers pilastres ;
Vous êtes malheureux de la beauté des astres ;
Vous trouvez l’océan trop clair, trop noir, trop bleu ;
Vous détestez le ciel parce qu’il montre Dieu ;
Vous êtes mécontents que tout soit quelque chose ;
Hélas, vous n’êtes rien. Vous souffrez de la rose,
Du cygne, du printemps pas assez pluvieux.
Et ce qui rit vous mord. Vous êtes envieux
De voir voler la mouche et de voir le ver luire.
Dans votre jalousie acharnée à détruire
Vous comprenez quiconque aime, quiconque a foi,
Et même vous avez de la place pour moi !
Un brin d’herbe vous fait grincer s’il vous dépasse ;
Vous avez pour le monde auguste, pour l’espace,
Pour tout ce qu’on voit croître, éclairer, réchauffer,
L’infâme embrassement qui voudrait étouffer.
Vous avez juste autant de pitié que le glaive.
En regardant un champ vous maudissez la sève ;
L’arbre vous plaît à l’heure où la hache le fend ;
Vous avez quelque chose en vous qui vous défend
D’être bons, et la rage est votre rêverie.
Votre âme a froid par où la nôtre est attendrie ;
Vous avez la nausée où nous sentons l’aimant ;
Vous êtes monstrueux tout naturellement.
Vous grondez quand l’oiseau chante sous les grands ormes.
Quand la fleur, près de vous qui vous sentez difformes,
Est belle, vous croyez qu’elle le fait exprès.
Quel souffle vous auriez si l’étoile était près !
Vous croyez qu’en brillant la lumière vous blâme ;
Vous vous imaginez, en voyant une femme,
Que c’est pour vous narguer qu’elle prend un amant,
Et que le mois de mai vous verse méchamment
Son urne de rayons et d’encens sur la tête ;
Il vous semble qu’alors que les bois sont en fête,
Que l’herbe est embaumée et que les prés sont doux,
Heureux, frais, parfumés, charmants, c’est contre vous.
Vous criez : au secours ! quand le soleil se lève.
Vous exécrez sans but, sans choix, sans fin, sans trêve,
Sans effort, par instinct, pour mentir, pour trahir ;
Ce n’est pas un travail pour vous de tout haïr,
Fourmis, vous abhorrez l’immensité sans peine.
C’est votre joie impie, âcre, cynique, obscène.
Et vous souffrez. Car rien, hélas, n’est châtié
Autant que l’avorton, géant d’inimitié !
Si l’œil pouvait plonger sous la voûte chétive
De votre crâne étroit qu’un instinct vil captive,
On y verrait l’énorme horizon de la nuit ;
Vous êtes ce qui bave, ignore, insulte et nuit ;
La montagne du mal est dans votre âme naine.

Plus le cœur est petit, plus il y tient de haine.

Victor HUGO (1802-1885)